LOUIS JEAN-MARIE DAUBENTON

(Montbard 1716 – Paris 1800)

Quelques repères chronologiques

1715 : mort de Louis XIV
1716 : le 29 mai, naissance de Louis Jean-Marie Daubenton ou d’Aubenton à Montbard
1739 : Buffon devient Intendant du Jardin du Roi
1742 : première venue à Paris, assiste aux cours d’anatomie
1745 : nommé « Garde et Démonstrateur du Cabinet du Roi »
1749-1767 : en collaboration avec Buffon : Histoire naturelle, générale et particulière avec la Description du Cabinet du Roy, 15 volumes, Paris, Imprimerie Royale
1750 : Mémoire sur la connaissance des pierres précieuses
1754 : Mémoire sur l’albâtre / 21 octobre : il épouse sa cousine Marguerite Daubenton
1759 : Mémoire sur les Chauve-Souris
1762 : Mémoire sur les os et les dents remarquables par leur grandeur
1764 : Mémoire sur la différence de la situation du grand trou occipital dans l’Homme et dans les animaux
1768 : Mémoire sur le mécanisme de la Rumination et sur le tempérament des bêtes à laine
1772 : Observation sur les bêtes à laine, parquées pendant l’année
1777 : Mémoire sur l’amélioration des bêtes à laine
1778 : nommé professeur à la chaire d’Histoire Naturelle du Collège de France
1779 : Mémoire sur les laines de France comparées aux laines étrangères
1782-1787 : Encyclopédie méthodique « Histoire naturelle des animaux », Paris, Panckoucke, Liège, Planteux
1783 : nommé professeur à la chaire d’économie rurale de la toute récente Ecole Vétérinaire d’Alfort
1788 : mort de Buffon
1793 : le Jardin du Roi devient Muséum d’Histoire Naturelle. Daubenton en devient le premier directeur
1799-1800 : dans la nuit du 31 décembre, Daubenton meurt. Une stèle sera élevée dans l’enceinte même du Jardin des Plantes et sa dépouille y sera déposée.                         

Références bibliographiques : Daubenton naturaliste : La Chauve-souris et l’Eléphant, Cédric Crémière / Daubenton, un héritage naturalisé, Amandine Péquignot / Daubenton et la Minéralogie au XVIIIe siècle, Benjamin Rondeau / Daubenton et l’os de girafe du Cabinet du Roi, une méthodologie exemplaire, auteur inconnu (fiches documentaires du Musée Buffon).

Moins connu que Buffon, Louis Jean-Marie Daubenton n’en reste pas moins un incontournable du milieu scientifique des Lumières. Médecin, anatomiste, minéralogiste, contributeur de l’Encyclopédie, premier directeur du Muséum national d’Histoire naturelle… on fête ses 300 ans en 2016. De Montbard à Paris en passant par Courtangy, du mouton à la girafe sans oublier chou et chauve-souris, Daubenton est un savant surprenant à découvrir.

Louis Jean-Marie Daubenton (ou d’Aubenton) naît le 29 mai 1716 à Montbard. Fils d’un notaire, destiné par sa famille à la prêtrise, il est envoyé à l’âge de 12 ans à Paris pour y étudier la théologie. A la mort de son père, il choisit la voie de la médecine. Reçu Docteur de la faculté de médecine à Reims, il connaît pendant un temps la vie de médecin de campagne à Montbard. Il est éloigné de sa charge par Georges-Louis Leclerc qui le nomme « Garde et démonstrateur du Cabinet d’Histoire Naturelle » en 1745. Son travail consiste à faire du cabinet un « livre ouvert sur la Nature ». A cette fin, il doit assurer la difficile préservation des collections, leur distribution, c’est-à-dire leur disposition et leur augmentation. L’attrait pour l’histoire naturelle, la renommée grandissante du Cabinet du Roi incitent les dons des particuliers, des sociétés savantes et des souverains. Buffon décerne à bon escient un brevet pour encourager et gratifier les plus zélés. Ainsi, des quatre coins du monde, les « Correspondants du Jardin du Roi » expédient à Paris des spécimens encore inconnus.

Pour chaque espèce, Louis Jean-Marie Daubenton examine de la même manière et suit dans ses recherches, comme dans la rédaction de ses articles, un plan uniforme et constant : étude de l’aspect externe, mensurations de l’animal et de son squelette, observations des viscères et autres organes caractéristiques de l’espèce.

Daubenton cherche à lier l’organe à sa fonction, à comparer le même organe chez différents animaux ou les différents types d’organes chez un même animal. Ainsi, il ne se contente pas d’analyser la patte du cheval : il la confronte à la jambe de l’homme pour préciser les analogies, afin de « mieux comparer tous les animaux les uns aux autres ». En outre, ses nombreuses dissections lui ayant révélé la conformité de la structure et du genre de vie, il entrevoit la possibilité d’une adaptation au milieu.

De 1749 à 1765, Daubenton se consacrera aux côtés de Buffon à décrire, comprendre et expliquer comment fonctionne la nature animale à travers 17 volumes de l’Histoire Naturelle, générale et particulière, avec la Description du Cabinet du Roy.

A partir de 1776, il améliore la laine des moutons français en acclimatant des mérinos espagnols (Manuel sur l’éducation des mérinos. Instructions pour les bergers). En 1778, Daubenton obtient enfin que l’histoire naturelle soit enseignée au Collège de France, et il est le premier à occuper la chaire. Cinq ans plus tard, il enseigne l’économie rurale à l’École vétérinaire de Maisons-Alfort. Après la Révolution, son attitude à la fois coopérative et modérée lui vaut d’être élu président du conseil d’administration du Jardin du roi (1790) puis professeur au Muséum d’histoire naturelle et à l’École normale supérieure. En 1793, il devient Président du Muséum, direction qu’il cède à Bernard de Jussieu pour se consacrer à la minéralogie qu’il enseigne au Collège de France.

Nommé sénateur par le Premier consul en 1799, il meurt dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 1800 d’une crise d’apoplexie. Il est enterré au Jardin des Plantes.

Daubenton, précurseur de la minéralogie systématique

Du naturaliste Daubenton , l’histoire a surtout retenu l’œuvre en anatomie comparée et en zoologie. Les dernières années de sa vie ont pourtant été essentiellement tournées vers la minéralogie : en 1793, lors de la création du Muséum d’Histoire Naturelle, on lui laisse le soin de choisir sa chaire, en tant que doyen d’âge des officiers du Jardin. Il crée ainsi la Chaire de Minéralogie, qu’il occupe jusqu’à sa mort en 1800. Son sens aigu de la pédagogie suscite des vocations et non des moindres : pour la minéralogie on retient en particulier René-Just Haüy, qui posera les bases de la cristallographie géométrique. Daubenton a acquis dans le domaine des minéraux une connaissance fine en particulier par la mise en ordre des collections toujours grandissantes du Cabinet du Roy. Il s’est détaché des seuls critères de beauté, de perfection ou de curiosité qui caractérisaient les cabinets. On lui doit ainsi les premières bases de la minéralogie systématique au Muséum. De son travail est né un Tableau méthodique des minéraux qu’il a perfectionné jusqu’en 1796. C’est la première nomenclature qui utilise les dénominations chimiques modernes proposées par Antoine Lavoisier, Antoine De Fourcroy, Claude Berthollet et Guitton De Morveau. Même si ce tableau n’est plus utilisé depuis longtemps, soulignons ces considérations, toujours d’actualité, relevées dans l’avertissement de ce tableau : « Les distributions méthodiques des minéraux sont aussi fautives que celles qui ont été faites pour les plantes et pour les animaux ; il n’est pas possible qu’elles soient d’accord avec la nature (…) ces méthodes, quoique très imparfaites, sont utiles, commodes et nécessaires pour l’étude de l’histoire naturelle. »

En termes de « publications » en minéralogie à proprement parler, on oublie très tôt ses travaux, comme le rappelle Georges Cuvier dans son éloge historique lu à la séance publique de l’Institut le 5 avril 1800, soit quatre mois après sa mort : « Il a publié cependant des idées ingénieuses sur la formation des albâtres et des stalactites, sur les causes des herborisations dans les pierres, sur les marbres figurés… ». C’est en fait la rédaction de la partie « minéraux » de l’Histoire Naturelle par Buffon qui est l’œuvre majeure de Daubenton en minéralogie. Même si son nom n’apparaît pas dans la publication, les historiens des sciences s’accordent pour lui en attribuer la paternité.

Daubenton , l’inventeur du Mérinos français

Arrivé de Perse, via le pourtour méditerranéen, l’Afrique du Nord puis l’Espagne, le mouton à laine fine appelé par les Espagnols « Merina », est échangé à prix d’or. Les premières traces d’importation de laine fine à Arles datent de la période romaine. Jean-Baptiste Colbert, l’un des principaux ministres de Louis XIV, favorise l’importation de reproducteurs espagnols. En 1749, Louis XV crée à Trianon une ménagerie domestique afin  d’améliorer les croisements de race, les rendements et la qualité des produits alimentaires tels que le lait.

En 1765, l’Intendant des Finances du Roi, Daniel-Charles Trudaine charge Daubenton de travaux sur l’amélioration des bêtes à laine, ce qui le conduit à voyager en Espagne puis à  installer une première bergerie près de Montbard, à la ferme de Courtangy en 1776. Il expérimente en particulier des croisements avec des béliers Mérinos. Il développe des observations qu’il livre en 1777 dans son Mémoire sur l’amélioration des bêtes à laine et en 1779 dans son Mémoire sur les laines de France comparées aux laines étrangères.

Il fonde une autre bergerie à Alfort où il est de 1782 à 1788, titulaire de la chaire d’économie rurale. L’Ecole d’Alfort acquiert une exploitation agricole (la Ferme de Maisonville) en 1783 et en confie la haute direction à Daubenton. Il y réalise probablement les mêmes croisements qu’à Montbard.

En 1786, sur les conseils de Daubenton , Louis XVI délaisse Trianon, achète le domaine de Rambouillet pour y créer une ferme expérimentale. Il y fait venir d’Espagne – qui possède alors le monopole – un troupeau de plus de 300 animaux. Rappelons que Charles III d’Espagne est le cousin de Louis XVI. Cette importation a pour objectif d’améliorer la finesse de la laine grâce à des croisements entre les Mérinos et les races locales. C’est à Daubenton que l’on doit la réussite de ces expériences. Aujourd’hui, les Mérinos de Rambouillet sont les derniers spécimens au monde de la race originale.
Au XVIIIème siècle, recherches zootechniques et recherches agricoles, deux domaines en pleine évolution, deviennent ainsi de véritables disciplines scientifiques.

Vous pouvez télécharger ce texte en citant les crédits et sources mentionnésLouis Jean-Marie Daubenton (Lionel Markus, directeur du Musée et Parc Buffon)

Molaires de Big Bone Lick

Mastodontes et espèces perdues : la grande découverte

Pascal Tassy, professeur émérite du Muséum national d’histoire naturelle

Transformation et extinction sont les deux caractéristiques essentielles de l’évolution biologique. La reconnaissance d’espèces éteintes a précédé celle des transformations.

En 1778, après trente années d’hésitations Buffon décide dans son livre « Les Epoques de la Terre » d’accepter la notion d’espèce « perdue » comme on disait alors.  Des fossiles découverts en Amérique du Nord en 1739 sont à l’origine de cette décision historique. Cette année-là une expédition militaire menée par Charles Le Moyne de Longueuil quitte Montréal en direction de La Nouvelle Orléans afin de prêter main forte à son oncle Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville qui a fort à faire avec les Indiens Chickasaw. En chemin, à l’occasion d’un ravitaillement au bord de la rivière Ohio, ses guides lui ramènent des molaires, une défense et un gros os découverts dans un marais salé alors qu’ils chassaient le bison. Depuis, le site a été dénommé Big Bone Lick par les Anglais, « le marais salé du gros os » (il s’agit d’un gisement quaternaire dont on sait aujourd’hui qu’il remonte à 17000 ans).

Longueuil garde les fossiles qui, via La Nouvelle Orléans, finissent par arriver au Jardin des plantes, au Cabinet du Roi. Louis Daubenton les inscrit au catalogue et les étudie. Dans une magnifique leçon d’anatomie comparée appliquées aux fossiles présentée en 1762 devant l’Académie royale des sciences, il observe que la structure de l’ivoire de la défense est du type de celui des éléphants. Il reconnaît que le gros os est un fémur éléphantin. De fait, ce fémur est comparé à celui d’un éléphant de la collection d’anatomie comparée (il s’agit de l’éléphant d’Afrique offert en 1668  à Louis XIV par Pierre II, roi du Portugal) et à un fémur venu de Sibérie et attribué à un « mamout », un être légendaire, un géant. Daubenton conclut que ce sont de tels os d’éléphants découverts à l’état fossile qui sont à l’origine des récits de géants présents dans nombre de cultures. Il remarque que le fémur est bien robuste comparé à celui des éléphants mais peut-être est-ce dû à de la variation, conclut-il prudemment. Quant aux grosses molaires, elles sont singulières. Elles ne correspondent à rien de connu. Les plus petites dépassent quand même la dizaine de centimètres. Elles sont formées de trois crêtes formées de tubercules coniques. Ces tubercules évoquent à Daubenton les molaires d’hippopotame même si ces dernières n’ont que deux crêtes et sont plus petites. Pour cette raison, Daubenton n’imagine pas que de telles dents, à l’inverse de la défense et du mammouth, puissent appartenir à un éléphant.

Des dents encore plus grosses, dépassant 20 cm, avec cinq rangées de crêtes sont décrites par ailleurs, venant du même site et même de Russie. Ce sont ces molaires qui feront dire à Buffon : « Je crois donc pouvoir prononcer avec fondement que cette très-grande espèce d’animal est perdue ».  La très grande espèce est dénommée Elephas americanus par Robert Kerr en 1792 mais longtemps appelée « mammouth des américains ».

La confusion entre le mammouth américain et le mammouth de Sibérie ne sera levée qu’en 1806 lorsque Georges Cuvier invente le terme de « mastodonte » (= dent en forme de mamelle) pour réunir plusieurs espèces dont la plus grande est appelé par lui « le grand mastodonte » ou mastodonte de l’Ohio (et désormais répertoriée sous le nom de Mammut americanum). Le mammouth de Sibérie est un éléphant dont le nom scientifique est Mammuthus primigenius. Autrement dit, Mammut et Mammuthus ne sont pas la même chose.

Contrairement à ce que pensait Daubenton, les molaires de Big Bone Lick appartiennent bien à la même espèce que la défense et le fémur. La robustesse du fémur qui avait attiré l’attention de Daubenton est bien un caractère de mastodonte. En conclusion, le mastodonte a tout de l’éléphant sauf ses molaires, bizarrerie anatomique facilement expliquée par l’évolution biologique que tous ces vénérables auteurs ignorent encore. Les caractères des organismes n’évoluent pas à la même vitesse. Chez les mastodontes les incisives sont déjà évoluées, transformées en défenses, comme chez les éléphants mais les molaires sont restées à un état primitif. Elles sont formées de rangées transversales de tubercules alors que chez les éléphants ces rangées en se multipliant se compriment pour former des lames où les tubercules constitutifs n’apparaissent quasiment plus.

Il reste que l’intuition de l’espèce perdue qui remonte aussi loin que 1563 avec Bernard Palissy et ses coquilles pétrifiées de Saintonge, qui a hanté nombre de naturalistes au XVIIIe siècle sans qu’aucun n’ose conclure fermement avant Buffon, est devenue une donnée scientifique grâce au mastodonte de Big Bone Lick.

Mérinos

Lire  le dossier de presse du Tricentenaire de Daubenton en le feuilletant